Mister Arkadin

LIQUIDER HENRI LANGLOIS ?

13 Février 2008, 16:40pm

Publié par Mister Arkadin

L’énième célébration de certains événements de Mai 68 offre l’occasion de revenir sur ce qui survint en 1968 à la Cinémathèque française, soit l'"Affaire Langlois", du nom de l’un de ses fondateurs et omnipotent directeur, que l’État aurait cherché à "liquider", pour reprendre une terminologie présidentielle. Car sans doute cette histoire n’a-t-elle pas encore suscité assez de papiers.Henri-Langlois---bobine.jpg

Ce sont Libération et Le Monde qui consacrent logiquement le plus d’importance à cette commémoration, le premier parce qu’il se veut toujours l’héritier de l’esprit soixante-huitard (« Grand angle » de son édition du 8 février 2008, p.38-39), le second parce qu’il fut l’un des principaux relais dans la presse (Dieu sait pourtant s’il y en eût !) de la campagne de communication orchestrée par Langlois et ses partisans, François Truffaut en tête. Il est de ce fait particulièrement intéressant que ce soit la section « Les archives » du supplément hebdomadaire Le Monde 2 qui ait été choisie pour décrire ce « Drôle de drame à la Cinémathèque » (n°209, 9 février 2008, p.53-61). Cela permet de se replonger dans des documents qui restituent pour une part l’atmosphère de l’époque, faite de simplifications et d’un manichéisme dont Le Monde commençait à être coutumier (les deux articles de Jean de Baroncelli repris s’intitulent « Dehors, le poète de l’image ! » et « La Cinémathèque libérée »), la position de l’adversaire n’étant donnée qu’après l’avoir soigneusement disqualifiée (« Malraux s’en va t’en guerre »). 
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Libération accompagne le récit des journées légendaires d’un entretien avec un expert, Laurent Mannoni, qui a publié récemment une Histoire de la Cinémathèque française, la plus rigoureuse, le plus documentée et la plus honnête qu’il pouvait dans sa position et vu les conditions de réalisation du livre. Juge et partie, puisque employé de la Cinémathèque française (actuellement « directeur scientifique du Patrimoine »), disposant sur son lieu de travail d’une masse d’archives considérable, mais n’ayant que peu de temps pour en consulter beaucoup d’autres (des "vérifications" ont surtout été faites au CNC), il s’est tiré remarquablement de la plupart des chausse-trappes d’une telle commande institutionnelle (un peu à la manière d’Antoine de Baecque pour l’histoire des Cahiers du cinéma). Il aurait cependant été bien impossible à Mannoni d’utiliser « toutes les sources historiques possibles », contrairement à ce qu’écrit Michel Ciment dans une bonne note de lecture de Positif (n°556, juin 2007, p.74-75). Et surtout d’écorner plus encore le "mythe Langlois", dont il se déprend tout de même autant que faire se peut. Dès lors, il est indispensable de se reporter aux études fondatrices de Raymond Borde – notamment dans Les Cahiers de la cinémathèque… de Toulouse (publication dont celle de Paris n’a jamais réussi à fournir l’équivalent) – et à celle de Pierre Barbin, un peu hâtivement cataloguées comme des « témoignages à charge » (Michel Ciment). Barbin, quoique également juge et partie (et constamment pris à partie depuis 1968, de façon souvent peu loyale !), ne s’est pas contenté de consigner ses souvenirs d’un témoin. Il a aussi réussi à dénicher des archives peu ou pas du tout exploitées jusqu’à présent, en Allemagne notamment. 

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Cela devrait aller sans dire, mais, sur ce sujet comme sur bien d’autres, une information parcellaire, la limitation à quelques points de vue (toujours les mêmes en général), quand ce n’est pas la crédulité, ne permettent guère d’appréhender sereinement cette histoire. Surtout, on attend toujours que les institutions les plus puissantes de la cinéphilie française fassent l’objet d’études d’envergure menées par des historiens plus impartiaux (si tant est qu’ils puissent l’être, vu l’imbrication des intérêts dans ce milieu), et si possible par des collectifs. 


 Notes, liens et informations complémentaires :
  - L’histoire de la Cinémathèque française a déjà été évoquée sur ce site, ici.
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« La cinémathèque néglige le septième art », par Philippe Person, Le Monde diplomatique, décembre 2005.
- Laurent Mannoni organise en 2008 un cycle de conférences intitulé « Le conservatoire des techniques cinématographiques ».