FILATURES
« À force de lire et d’écrire à propos du cinéma, as-tu encore le temps de voir quelques films ? », me demande un ami qui s’en enfile allègrement, bon an mal an, cinq à six cents. N’en ayant jamais vu guère plus de deux à quatre cents par an (petit écran compris), je conçois fort bien que je puisse être considéré comme un simple amateur aux yeux des véritables cinéphiles, ceux des années soixante, qui étaient prêts à faire trois cents kilomètres en voiture pour aller voir à Bruxelles un inédit, ceux d’aujourd’hui, dont la cinémathèque est la seconde maison, pour lesquels les programmes du câble et l’édition DVD n’ont aucun secret et dont le tableau de chasse avoisine le millier de films par an. Pour ma part, je fais effectivement partie de ces cinéphiles "littéraires", représentés par un André S. Labarthe. Je garde en effet en mémoire ce passage d’un documentaire de Claude-Jean Philippe, réalisé à l’occasion des quarante ans des Cahiers du cinéma (en 1991, donc), où A. Sylvain L. déclarait que, pour la constitution de sa cinéphilie (au tournant des années 1960), la lecture des critiques (les Bazin, Truffaut, Rohmer, Godard, etc.) avait été bien aussi importante que la vision des films. Ainsi ma collection de revues, livres et coupures de presse sur le cinéma est-elle aussi précieuse pour moi, plus même, oserais-je avouer, que ma collection de cassettes et DVD.
Pour autant, un blog de cinéma sans recension de films serait tout de même assez étrange. Aussi essaierai-je d’en publier au moins une par semaine.
Aucun film vu ces derniers temps ne m’inspire énormément. En revanche, je tiens à conseiller aux lecteurs d’aller voir, sans tarder (vu la rotation actuelle des films), le film de Hong-Kong Filatures.
Premier film de Yau Nai Hoi, le scénariste de Johnny To, il se caractérise (paradoxalement ?) par la qualité de sa production (de JT) et la virtuosité de sa mise en scène, plus encore que par l’astuce de son récit. Celui-ci se résume presque à une succession de filatures menées par les services de renseignements de Hong-Kong afin de prévenir des braquages de banques ou de bijouteries (d’où le titre français, très pertinent ma foi, le snobisme des distributeurs français ne les ayant pas amené, pour une fois, à garder le titre anglo-saxon, et sans doute chinois, pourtant plus poétique : « Eye in the Sky »). Yau Nai Hoi excelle à découper ses séquences de telle sorte que nous puissions ressentir, presque physiquement, la perception des choses de plusieurs personnages à la fois : qui me suit ? suis-je repéré ? suis-je à la bonne distance de celui que je file ? puis-je anticiper ses mouvements ? me soustrairai-je à son regard en me faufilant derrière tel quidam ? à quel moment dois-je changer de vêtements ? quelle caméra va permettre au staff du QG de suivre au mieux les événements ? quelle consigne donner à mes hommes ? Toutes questions, et bien d’autres, que se posent les divers protagonistes de ce film haletant, et que nous nous posons par procuration !
J’avais trouvé l’année 2007 moins fournie en bons films asiatiques que les précédentes. J’allais même jusqu’à me demander si le filon n’allait pas naturellement se tarir. Et me voici contredit dès la première semaine de janvier 2008 !