"...DÉBARRASSÉS DE TOUT SOUCI DE PROMOTION"
Dans un très judicieux éditorial sur la pratique de l'entretien dans la presse cinématographique, notamment dans ses rapports avec la publicité et la critique (thème récurrent, encore plus ancien que l'article fameux « La publicité, la presse », publié par Jean George Auriol, sous le nom d'Amable Jeanson, dans La Revue du cinéma du 1er juillet 1930, « La vie des films. 5 »), Yann Tobin prétend que « les entretiens inclus dans le dossier Jacques Becker » seraient « débarrassés de tout souci de promotion » (Positif, n°608, octobre 2011). Nulle raison de mettre en doute sa bonne foi, quoiqu'elle sonne comme une dénégation. Ce n'est pas parce qu'une page de publicité (la 59) pour le "Grand Lyon Film Festival" d'octobre 2011 (admirons le bel anglicisme) précède le copieux et riche dossier Becker accompagnant la rétrospective que ce festival lui consacre qu'un accord aurait été conclu entre l'Institut Lumière et la revue pour que celle-ci fasse la promotion de celui-ci, à tout le moins indirectement. D'abord parce qu'il n'est pas illégitime, actualité ou non, de s'intéresser longuement à un bon cinéaste comme Becker (de là à en faire l'égal des plus grands et à le désigner comme "le Patron"... qui pense sérieusement qu'il pourrait détrôner Renoir, auquel l'expression était jusqu'à présent révervée ?), quoique l'insistance avec laquelle l'introduction rappelle que la bibliographie Becker n'est pas très abondante sonne là aussi un peu comme une dénégation (la réalisation de ce dossier n'était certes pas superflue, mais pas non plus de l'urgence la plus impérative). Ensuite parce que, même sans parution dudit dossier, l'Institut Lumière aurait sans doute tout de même publié une page pour son festival dans Positif (qui n'accueille plus que des pages de pub relatives au cinéma, ce qui est un bon point à relever) (1). Toutes ces précautions étant prises, le choix de Positif d'être depuis peu éditée par l'Institut Lumière (qui s'occupe en particulier de la "Publicité"...) et Actes Sud (l'éditeur des bouquins publiés par l'institut lyonnais) (C5) ne manquera pas de faire constamment peser la suspicion désormais. Certes, Positif ne va pas subitement se mettre à descendre les films de Bertrand Tavernier, alors qu'elle les a toujours défendus, parfois même à juste titre ; elle ne va se mettre à ne plus rendre compte du festival de Cannes, parce que le directeur de l'Institut-Lumière en est également délégué général (en plus d'être l'auteur d'un mémoire d'histoire sur la revue et fréquemment l'auteur de comptes rendus très légèrement complaisants pour les publications de Positif ou celles qui lui sont consacrées) (C3). Elle ne va pas non plus se mettre à faire l'éloge de la programmation au cours des années 2000 de la Quinzaine des réalisateurs. Mais voir celle-ci une nouvelle fois épinglée dans le même numéro d'octobre (page 61), afin de mieux saluer le choix du nouveau programmateur (Edouard Waintrop, critique et cinéphile on ne peut plus estimable, bon blogueur au demeureant) (2) (C2), pourrait faire naître quelques doutes (C4) : dans quelle mesure cette revue pourra-t-elle persister à se prétendre indépendante ? Toutefois, il va de soi que toute suspicion de quelque sorte que ce soit est nulle et non avenue, le directeur de Positif étant, tout le monde le sait (et pour ceux qui ne le sauraient pas, il le proclame suffisamment), un contempteur on ne peut plus convaincant de tout copinage.
Notes :
(1) Un bon point pour le confort de lecture s'entend, vu qu'il est plus agréable, en feuilletant une revue de cinéma, de tomber sur une page de pub pour une collection de DVD ou la reprise d'un film au Quartier latin que pour le dernier modèle de telle marque automobile (et quand ........ ........., c'était carrément désagréable). Mais, en ce qui concerne l'indépendance de la rédaction, il va de soi que cela se discute.
(2) La preuve qu'il s'agit d'un connaisseur, il rappelle, dans son hommage à Paulette Dubost, que l'un de premiers films de celle-ci fut Le Martyre de l'obèse, l'adaptation du livre de Henri Béraud par Pierre Chenal.
Compléments :
(C1) (31 janvier 2012) « Dans les années 50, le cinéma passa massivement à la couleur. C'est au début de cette décennie que naquit Positif. Pendant les soicante années qui ont suivi, notre revue a fait de nécessité vertu. Pour maintenir notre indépendance, faute de moyens, nous avons conservé le noir et blanc qui est devenu notre identité, une marque de distinction [...]. [...] nos nouveaux éditeurs, Actes Sud et l'Institut Lumière, nous permettent maintenant de réaliser un rêve. Vous avez entre les mains notre premier numéro où les illustrations qui accompagnent les films en couleur reflètent le chatoiement de l'original » (Positif, n°611, janvier 2012, p.1, éditorial, « Positif prend des couleurs » ; c'est moi qui ajoute du noir - seuls les mauvais esprits y verront la couleur du deuil, d'une "identité" et d'une "indépendance").
(C2) (5 février 2012) Lucien Logette, dans sa nécrologie de Mila Parély (Jeune cinéma, n°342/343, décembre 2011 - janvier 2012, p.143), rappelle qu'elle aussi jouait, pour ses débuts au cinéma, dans Le Martyre de l'obèse, film décidément à redécouvrir.
(C3) Gentil coup de chapeau du directeur de Positif à son éditeur dans le n°612 (février 2012, « Bloc-notes : décembre en cinéma », p.52) : « Le conseil d'administration du festival de Cannes reconduit Gilles Jacob dans ses fonctions de président pour trois ans, jusqu'en juillet 2014. Thierry Frémaux, délégué général, voit ses responsabilités accrues (décisions de recrutement, nouvelles orientations, engagements financiers...). Pour la plus grande manifestation du monde, on ne change pas une équipe qui gagne. »
(C4) Des doutes qui surgiront dès qu'un éloge d'un ouvrage publié par l'Institut Lumière et Actes Sud paraîtra très appuyé, même justifié, tel ce paragraphe introductif du compte rendu de La parade est passée... par Jean-Pierre Berthomé : « Si vous ne devez posséder qu'un seul livre sur l'histoire du cinéma muet américain, c'est celui-ci » (Positif, n°612, février 2012, p.67).
(C5) (11 juin 2012) La posture d'éditeur "indépendant" est contestée dans un livre publié récemment par le co-fondateur des éditions Agone (Thierry Discepolo), La Trahison des éditeurs.