Mister Arkadin

MEL GIBSON, CINÉASTE ENGAGÉ

2 Janvier 2008, 15:32pm

Publié par Mister Arkadin

Revue de presse : « 4O Jours de Moussa Dagh : Nouvelles intimidations turques », Les Nouvelles d’Arménie Magazine, n°137, janvier 2008, p.15 (http://www.armenews.com/article.php3?id_article=36519)
(voir également :
http://www.gamkonline.com/detail.php?r=0&id=6243&l=fr)


Comme à la belle époque des années 1970 et des marches de protestation contre la guerre du Vietnam, maints journaux et revues cinématographiques ont célébré ces derniers mois le retour des cinéastes et acteurs américains "engagés". Combien de dossiers sur le si vertueux Clooney, ses critiques des positions de l’Amérique, au Proche Orient ou en Afrique ? Presque autant, mais en émettant plus de réserves, sur les combats de Michael Moore. Dans la majorité des cas, c’est l’engagement contre la politique de Georges W. Bush qui attire toute l’attention des médias français. Le souci écologique a également plutôt les faveurs de la presse française, que ce soit pour Une vérité qui dérange d’Al Gore ou pour l’ancien Barbare Arnold Schwarzenegger.

 
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En revanche, une autre star du cinéma hollywoodien n’a guère eu l’honneur de se voir qualifié de "cinéaste engagé", malgré la dimension éminemment politique de son cinéma. Tout au plus Mel Gibson a-t-il été l’objet de procès en sorcellerie, aussi bien en France qu’aux États-Unis. En plus d’avoir été suspecté d’antisémitisme, ce genre de suspicion valant condamnation quasi immédiate, des deux côtés de l’Atlantique, Gibson doit payer en France un succès par trop insolent pour y avoir bonne presse. Et voilà qu’il reprendrait, si l’on en croit Les Nouvelles d’Arménie Magazine, le projet de Sylvester Stallone d’adaptation des 40 Jours de Musa Dagh, publié dans les années 1930 par l’écrivain autrichien Franz Werfeld. Le thème de ce livre, qui raconte la rébellion d’un groupe d’Arméniens contre la tentative de Génocide dont ils ont été victimes sous l’Empire Ottoman, explique les multiples pressions qui auraient fait renoncer Stallone et qui s’abattent désormais sur Gibson. Espérons que ce dernier montrera autant de persévérance dans la réalisation de ce projet ô combien prometteur qu’il en eu pour mener à bien les deux précédents.

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Informations et liens complémentaires :

 

Le-Cin--ma-et-la-guerre.jpg- J’ai publié en 2005 une analyse du film ayant le premier contribué à établir la réputation d’acteur engagé de George Clooney : « Les Rois du désert : peut-on rire de la guerre en Irak ? », Le Cinéma et la guerre (dir. Hervé Coutau-Bégarie / Philippe d'Hugues, Paris, Commission Française d’Histoire Militaire / Institut de Stratégie Comparée / Economica, p.177-184).
- J'ai déjà évoqué le projet "Musa Dagh" de Stallone dans une analyse de son dernier Rocky Balboa : "Les défis de Sylvester Stallone", Jeune cinéma, n°310/311, été 2007, p.94-97 ; article repris ici.

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Sortie du jour : ALIENS VS PREDATOR

2 Janvier 2008, 10:56am

Publié par Mister Arkadin

Sort aujourd'hui sur les écrans français le blockbuster Aliens vs Predator -  Requiem.

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Il s’agit du deuxième épisode d’une "saga". Je n’avais pas vu le premier à sa sortie en France, le 27 octobre 2004.

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Bien entendu, cela ne m’empêcha point d’en parler, au "Libre journal du cinéma" de Philippe d’Hugues, le 4 novembre 2004. J’appliquai là le principe cardinal de la critique, à savoir qu’il n’est nullement nécessaire de connaître une œuvre pour discourir à son sujet. Plusieurs critiques de cinéma en ont joué avec virtuosité, tel Jean-Pierre Manchette ; Noël Godin, devenu célèbre depuis comme entartreur en chef (petite sélection de liens sur cette noble activité : 1 ; 2 ; 3), démontrant l’inutilité de l’existence même du film. En tout état de cause, la vision d’un film s’avère finalement pour eux, non seulement subsidiaire, mais presque superfétatoire.

N’ayant toujours pas vu Alien vs Predator, mon compte rendu de 2004 ne peut que garder toute sa pertinence et valoir tout aussi bien pour Aliens vs Predator -  Requiem. Le voici donc.

« Alien vs. Predator est le type même de film que que le « Libre journal du cinéma » se doit de signaler, tant il est rassurant de constater que l’industrie cinématographique renoue sans cesse avec certains de ses genres les plus traditionnels.

Or, il en est un qui est particulièrement cher au cœur des cinéphiles : l’orchestration de la rencontre entre grands monstres ou génies du mal. Rappelez-vous notamment l’inoubliable King Kong vs. Godzilla (1). Remarquez que le "versus" (contre) doit impérativement s’écrire "vs." : cela en jette, si je puis me permettre l’expression, cela en jette beaucoup plus sur l’affiche. C’était le cas également de "Kramer contre Kramer", Kramer vs. Kramer (2), dont les monstres étaient, reconnaissons-le, un peu moins distrayants.

On nous propose aujourd’hui un n’en doutons pas tout aussi mémorable Alien vs. Predator (3), après le Freddy vs. Jason (4) de l’année dernière. Sans doute nous proposera-t-on demain Terminator vs. Gremlins ou Dracula contre les dinosaures à Jurassic Park. On peut imaginer toutes sortes de combinaisons, de formules diverses et variées, même si elles risquent d’être assez vite quelque peu répétitives, de nous apparaître comme, littéralement, des formules.

Mais peut-être justement faut-il seulement les imaginer, et c’est d’ailleurs ce que je me suis contenté de faire, puisque je ne suis pas allé voir Alien vs. Predator. Pour une raison principalement : l’élément primordial recherché dans ce genre de films, la terreur qu’inspirent les deux monstres mis en présence, tend en général à s’annihiler, au lieu d’être démultiplié, surtout parce que cette terreur ne s’exerce plus aux dépends des personnages humains, auxquels le spectateur peut s’identifier. Au lieu de s’allier, les deux bestioles finissent très vite par s’affronter, et se taper dessus. Or, c’est tout de même bien moins le rapport entre King Kong et Godzilla, ou n’importe lequel des ses confrères, qui nous passionnaient, que ses rapports avec les humains, surtout, bien sûr, quand l’humain en question était la ravissante Fay Wray, disparue il y a peu. »


 

 

Informations et liens complémentaires :

- Le livre de Noël Godin, dans lequel sont regroupées quelques-unes de ses critiques de films : Godin par Godin, Éditions Yellow Now, 2000

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http://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%ABl_Godin

- Celui de Jean-Pierre Manchette : Les Yeux de la momie : chroniques dManchette.jpge cinéma, Éditions Rivages, 1997


http://manchette.rayonpolar.com/

- Le "Libre journal du cinéma" de Philippe d’Hugues : scripts des émissions sur le blog de Radio Courtoisie (http://radio-courtoisie.over-blog.com/categorie-175154.html)

Notes :

(1) Ishirô Honda / Thomas Montgomery, 1962

(2) Robert Benton, 1979.

(3) Paul W.S. Anderson, 2004.

(4) Ronny Yu, 2003. Nota : le Jason en question est le monstre de Vendredi 13.

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VM : ARTE NE TIENT PAS SES PROMESSES

1 Janvier 2008, 23:32pm

Publié par Mister Arkadin

Belle programmation, le soir du Nouvel An, sur Arte : un John Huston suivi d’un Nicolas Ray. Les deux films sont annoncés en version multilingue (VM), merveilleux procédé permettant aux spectateurs, grâce à la retransmission en numérique (sur le câble ou par la TNT), de choisir leur langue de diffusion (ainsi qu’éventuellement les sous-titres) et de ne plus se voir imposer soit la VO (version originale), soit la VF, dite "version française", que l’on devrait plutôt appeler VD ("version doublée"), voire CF (pour "contrefaçon"). Dans un article récent sur l’histoire du doublage, repris ici, je m’étais félicité du passage d’Arte à la VM, malheureusement seulement pour les films, espérant sa généralisation à tous les programmes, non seulement d’Arte, mais de toutes les autres chaînes, même TF1 (y compris pour une série de base, telle "Les Feux de l’amour").

Je me suis donc confortablement installé dans mon fauteuil hier soir,the-roots-of-heaven-2-.jpg pour le film de 20h30 (désormais à 20h50, au plus tôt, même sur Arte), ai réglé la langue tout aussi bien que le format de l’image et me suis apprêté à déguster Roots of Heaven ("Les Racines du ciel"), l’un des rares Huston que je n’ai jamais vu.

Las, quelles que soient les touches de la télécommande sur lesquelles j’appuie, pas moyen d’échapper à une vulgaire VD ! Idem à 22h50 pour Wind across the Everglades ("La Forêt interdite"). Enfer et damnation ! Forfaiture ! Remboursez ! Plus jamais je n’écrirai au fisc de réserver ma redevance TV à Arte (je le faisais en pure perte, bien entendu, mais cela soulageait…).

J’ose croire qu’il ne s’agit que du résultat d’un problème technique, et non d’une renonciation délibérée à la VM par crainte des soi-disant diktats de l’Audimat. Sinon, ce serait une étape de plus dans la dégradation d’un des derniers joyaux de la culture française.

(avec la collaboration d’OA).


D’autres blogueurs se sont déjà étonnés, voire scandalisés, des choix linguistiques d’Arte, par exemple Pierre Assouline. Ceux des autres chaînes publiques sont pires encore (un exemple)...


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QUESTIONS AU DOUBLAGE

1 Janvier 2008, 23:31pm

Publié par Mister Arkadin

Note de lecture parue dans Jeune cinéma (n°312/313, automne 2007, p.134-137), à propos de Rencontres autour du doublage des films et des séries télé, dir.François Justamand, préface du comédien Roland Ménard, Nantes, Editions Objectif-Cinema, 2006, 218 p.

 

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Le doublage est une activité qui, d’ordinaire, semble destinée à rester dans l’ombre, l’ombre des studios d’enregistrement, l’ombre des génériques de films, qui les ignorent superbement la plupart du temps (mis à part ceux des films d’animation, quand quelques vedettes y ont participé), l’ombre d’un statut et de conditions de travail inconfortables (et ayant du reste tendance à empirer). Qui songerait à mettre en avant les "doubleurs" quand il s’agit d’évoquer les « gens de cinéma » ? Deux films récents ont mis sur le devant de la scène cette profession. Mathieu Amalric interprète dans Le Grand appartement de Pascal Thomas un "adaptateur", c’est-à-dire l’auteur des textes français que disent les comédiens doublant les acteurs de films étrangers.

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Comme de juste, cette activité n’est guère satisfaisante pour lui, obligé qu’il est de lutter contre la volonté de ses collaborateurs et commanditaires de traduire en français "d’aujourd’hui" les dialogues d’un western. « C’est clair », ponctue l’un de ses collègues. Il est surtout clair que cette activité n’est pour le personnage d’Amalric qu’un pis-aller, où le désir d’expression personnel est en butte à trop de contraintes pour pouvoir s’épanouir. Même dépréciation du travail des doubleurs dans La Vie d’artiste de Marc Fitoussi, de façon plus caricaturale encore. L’agent du personnage interprété par Sandrine Kiberlain, sollicité pour lui trouver de "vrais" rôles (où on la voit), lui reproche de s’être "grillée" comme actrice en faisant du doublage et d’avoir choisi l’argent facile et abondant qu’il procurerait aux dépens de sa réputation. Sans en avoir retirer le moindre plaisir qui plus est, tant elle semble s’ennuyer à mourir lors des scènes où elle double un dessin animé japonais. Le premier livre français sur le doublage – ou, du moins, sauf erreur, le premier destiné au "grand public" et non aux techniciens du cinéma – tord le cou à cette image d’un secteur négligeable de l’activité cinématographique, certes toléré, parce que nécessaire, mais qui ne fournirait du travail qu’à quelques professionnels en mal de contrats dans des secteurs plus nobles (comédiens devant la caméra, techniciens sur un plateau de tournage, auteurs de scénarios originaux, etc.). Toute une équipe a pour ce faire été mobilisée par François Justamand, celle de la « Gazette du doublage », qui anime le plus complet des sites Internet sur le sujet (www.lagazettedudoublage.com ; sont données page 178 les adresses de quatorze autres sites !). « La Gazette du doublage » dépendant elle-même de l’excellent "portail" « Objectif-cinema.com », ce livre est l’émanation de l’un des plus remarquables sites Internet francophones sur le cinéma. Espérons que les éditions « Objectif Cinéma » pourront continuer de permettre à ses remarquables productions disponibles sur Internet d’être ainsi représentées dans l’édition "traditionnelle", sur papier (un très bon Lynchland # 1, par Roland Kermarec, avait précédemment paru).

Le titre du livre correspond à l’option choisie pour rendre compte du phénomène étudié, à la fois comme pratique, comme technique et comme industrie. Ces Rencontres autour du doublage donnent bien sûr la part belle aux comédiens, de Jean Davy, voix française de Gary Cooper et d’Orson Welles, à Benoit Rousseau, voix québécoise de Mike Myers et de Nicolas Cage. La spécificité de ce difficile travail y est soulignée à loisir, même si la modestie prévaut dans un milieu où, d’une certaine manière, on s’efface derrière l’image d’un autre. Au détour des entretiens, il est toutefois rappelé que de nombreux acteurs reconnus n’ont pas dédaigné s’y adonner (tels Pierre Arditi, Pierre Vaneck, Robert Dalban, Marcel Bozzufi, Jacques Dufilho et Louis de Funès) ou y ont débuté (tel Patrick Dewaere, enfant). Divers représentants des autres métiers du doublage (détecteur, traducteur & adaptateur, calligraphe, superviseur, ingénieur du son, etc.) sont également interrogés. Un panorama de tous les métiers et de toutes les étapes du doublage achève d’en donner une vision d’ensemble, complétée par plusieurs aperçus originaux (« Doublage et francophonie », « Comment faire ses débuts… », « Dans la pénombre des studios »).

Un petit regret cependant : que la partie historique ne soit pas plus importante, la naissance du doublage avec l’apparition du cinéma parlant, le rôle du scientifique Charles Delacommune dans son invention, son essor dans les années 1930-1940 et ses transformations au gré du développement de la télévision étant très rapidement évoqués. Or, une histoire du doublage offrirait un autre éclairage sur quelques épisodes cruciaux de l’histoire du cinéma, notamment en France, tant du point de vue de la production et de la distribution que de sa réception. Francis Courtade a écrit à la fin des années 1970 une histoire du cinéma français à travers ses crises, Les Malédictions du cinéma français. De façon assez similaire, une histoire des relations entre cinématographies française et américaine pourrait s’écrire à la lumière des paragraphes sur le doublage que comportent la plupart des accords commerciaux franco-américains, qui jalonnent l’histoire du cinéma français depuis 1929 (1931, 1936, etc.). Les fameux accords dits "Blum-Byrns", qui firent couler tant d’encre et marcher tant de manifestants, n’échappèrent pas à la règle en revenant sur le protocole de l’accord commercial de Washington du 6 juin 1931 qui fixait le nombre de films doublés pouvant être diffusés en France. De même, les grands moments de polémique autour du doublage mériteraient des analyses détaillées. La presse de 1932 ou de 1945 regorge de débats « Pour ou contre le doublage », dont les arguments se retrouvent dans les controverses qu’il suscite encore aujourd’hui. De grands metteurs en scène y ont pris part. Claude Autant-Lara par exemple, ou Jean Renoir, qui mit en garde le cinéma français renaissant de 1945 contre l’importation de films doublés : « […] rien n’est dangereux pour une nation en convalescence comme de se laisser aller à s’habituer à ce sous-produit qu’est le film doublé. […] Je crois que le devoir des dirigeants actuels du cinéma français est de déshabituer notre public du doublage. […] pour l’amour de Dieu, en un moment où ce monde est perdu s’il retourne aux mensonges commerciaux d’avant-guerre, ne nous laissons pas aveugler par les apparents avantages pécuniaires d’une combinaison parfaitement dégoûtante tant du point de vue humain que du point de vue artistique » (lettre à Pierre Blanchar, 31 décembre 1944 ; Lettres d’Amérique, Paris, Presses de la Renaissance, 1984, p.163-165). Dans l’immédiat après Seconde Guerre mondiale, les comptes rendus des films américains, qui sortirent bien souvent dans une seule version (française ou américaine), étaient de fait parsemés de notations sur le sujet, leur réception en dépendant grandement. Un seul exemple, tiré du Film français (n°79, 7 juin 1946, p.16) : « Soupçons (Suspicion) – Version doublée. […] La mise en scène d’Alfred Hitchcock, et les talents conjoints de Gary Grant et de Joan Fontaine font de ce film une série d’images qui restent dans l’esprit du spectateur ; mais d’où vient que le son soit si mauvais ? Est-ce la faute du doublage, de la copie, ou de la salle de projection ? »

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Plus généralement encore, une histoire du rapport aux langues étrangères entretenues par les différentes nations, et donc de leur rapport à l’Autre (si l’on nous permet une certaine grandiloquence), gagnerait à ne pas ignorer la façon dont le doublage est perçu, traité et diffusé dans chaque pays. Ainsi, le niveau élevé en langue, surtout anglaise, des populations du nord de l’Europe est-il en partie dû au sous-titrage des programmes de télévision. A contrario, tant que les films et séries américains seront diffusés par nos chaînes de télévision dans la langue de Molière, les petits Français auront d’autant moins de chances de maîtriser celle de Shakespeare (1). Et les étrangers continueront à se moquer de notre accent déplorable, comme dans l’une des scènes les plus drôles de The Bubble, film israélien récemment sorti en France. On rejoint là le paradoxe constitutif du doublage. Les comédiens "prêtent" leurs voix aux acteurs étrangers, tout en se substituant aux leurs : elles nous les font donc méconnaître alors même qu’il s’agirait de les rendre plus proches de nous ! Il y a quelques années, au cours d’une manifestation pour l’obtention du statut d’artiste-interprète, dans le cadre d’une grève qui paralysa un temps une profession en manque de reconnaissance (« grève du doublage » à laquelle Rencontres autour du doublage consacre un chapitre), un "doubleur" de Woody Allen arborera fièrement un portrait de l’acteur américain avec une grande croix sur sa bouche. Arme à double tranchant. Le comédien français entendait montrer que, sans lui, nous ne pourrions pas entendre Woody Allen. Or, bien sûr, cela n’est vrai que pour ceux qui regardent les films dans les versions sur lesquelles le "doubleur" a accompli son œuvre… Débat sans fin, qui n’aura peut-être bientôt plus lieu d’être, si le passage au tout numérique favorise la généralisation des versions dites "multiples" (C1). Grâce à ce procédé, la télécommande permet de choisir sa langue, ainsi que ses sous-titres éventuels. Plusieurs chaînes du câble le proposent depuis quelque temps pour une partie de leur programme (Canal Jimmy par exemple). Arte s’y est mise depuis peu (C2), comme l’explique son directeur de la programmation (Emmanuel Suard), dans « Goût français, goût allemand », passionnant entretien donné à la revue Allemagne d’aujourd’hui pour son numéro spécial « Cinéma allemand : les jalons d'un renouveau » (n°176, avril-juin 2006, p.11).

Et voici que même TF1, à la faveur de la TNT, promet de s’y convertir progressivement, la saison 3 de la série Grey’s Anatomy ayant été la première à en bénéficier à partir de mai 2007. Heureuses nouvelles, qui n’entraîneront bien sûr pas la disparition du doublage et des études le concernant, en particulier sur son histoire et ses techniques. Nous n’avons esquissé ici que quelques pistes de réflexion. Gageons que la « Gazette du cinéma » continuera d’en suggérer bien d’autres, que ce soit sur son site ou dans une prochaine publication.


Note:

(1) (5 septembre 2008) : Le Figaro a publié dans son édition du 3 septembre une page bien documentée sur l’enseignement des langues à l’école. Parmi les facteurs expliquant l’avance des Européens du Nord sur ceux du Sud figure la « stimulation continuelle des connaissances des enfants », ceux de Finlande étant 93 % à affirmer « regarder tous leurs films en version originale ». Claude Hagège donne également d’autres explications dans l’entretien que je repique ci-dessous.


Hagège : «Les Français ont moins de facilité»

Propos recueillis par M.-E. P.

03/09/2008.

INTERVIEW - Pour le linguiste Claude Hagège, des raisons avant tout historiques et linguistiques expliquent les performances moyennes des Français.

Claude Hagège, linguiste français, polyglotte, est directeur d'études en linguistique structurale à l'École pratique des hautes études, il est titulaire de la chaire de théorie linguistique au Collège de France.

LE FIGARO.  Pourquoi les Scandinaves ou les Allemands paraissent-ils avoir de telles facilités à apprendre l'anglais par rapport aux Français ?

Claude HAGÈGE.  Deux raisons, linguistique et historique, expliquent cet état de fait. Les enfants de ces pays apprennent mieux l'anglais parce que le vocabulaire et la structure linguistique de ces langues dites anglo-saxonnes ou scandinaves sont très proches de l'anglais. Même s'il n'y a parfois aucune ressemblance phonétique. Des pays comme la Norvège, la Suède, les Pays-Bas, le Danemark apprennent par ailleurs l'anglais de façon plus précoce et plus intense que les pays de langue romane pour une raison purement historique : si l'anglais est aussi présent dans leur scolarité et dans leur quotidien, à la télévision par exemple, c'est parce que leur langue maternelle n'est connue nulle part ailleurs que dans leur propre pays !

Les Français sont-ils si mauvais que cela en anglais ?

Ils partagent une certaine difficulté à apprendre l'anglais avec les autres Européens de langue romane comme les Italiens et les Espagnols, dont le lien est beaucoup plus lâche avec l'anglais que les pays scandinaves. A fortiori, les pays éloignés géographiquement de la zone d'influence anglaise comme les Russes, les Japonais, les Chinois sont encore plus loin d'être «naturellement» doués en anglais. Ils éprouvent même plus de difficultés que nous, les tests internationaux le démontrent. Enfin, les Français comme les Espagnols, dont les langues sont répandues bien au-delà de la seule Europe, éprouvent beaucoup moins  l'«urgence» et la nécessité d'apprendre l'anglais qu'un petit pays comme le Danemark dont la langue maternelle n'est parlée… qu'au Danemark.

La France ne souffre-t-elle tout de même pas d'un mode d'enseignement très académique, fortement axé sur l'écrit au détriment de l'oral ?

Les pratiques d'enseignement peuvent certainement être améliorées en France. Mais les préjugés selon lesquels l'enseignement en langues serait mauvais sont tout à fait exagérés, même s'ils sont tenaces. Je fréquente beaucoup de professeurs et d'étudiants en anglais et je peux vous assurer que la conversation orale tient une part importante dans l'apprentissage. La source principale des difficultés des Français est ailleurs, c'est la structure même de notre langue qui est en cause.


Complément (6 janvier 2009) : A l'occasion de la réforme de l'audiovisuel en cours, dont la mesure la plus spectaculaire est la suppression de la publicité à certaines heures sur les chaînes de télévision publiques, le pape de la pédagogie, Philippe Meirieu, prône l'instauration d'un cahier des charges plus contraignant ("rigoureux", écrit-il) pour toutes les chaînes, aussi bien publiques que privées. Parmi les six mesures phares de son manifeste "Pour un télé responsable", paru hier dans Le Monde, la cinquième est la plus digne de retenir notre attention :

"Afin de lutter contre l'incompétence notoire des petits Français en matière de langues étrangères, toutes les chaînes, sans exception, devraient être contraintes de diffuser les émissions, feuilletons et films étrangers en version originale sous-titrée, et cela aux heures de grande écoute."


Voici le texte complet de Meirieu :

L'enjeu de la réforme de l'audiovisuel est clair : ou bien l'Etat garantira au service public les moyens de son indépendance et de sa qualité, ou bien ce dernier s'étiolera et, à court terme, sera marginalisé ou privatisé.

Mais tout se passe aujourd'hui comme si cette question pouvait être isolée de celle des droits et obligations des chaînes privées. Or sans une réflexion globale sur la fonction de la télévision dans notre société, sans une réinterrogation citoyenne de l'ensemble du fonctionnement de l'audiovisuel, les chaînes publiques seront amenées soit à basculer dans une télévision "officielle", politiquement et culturellement correcte, soit à singer les chaînes privées, mais avec moins de moyens.

La question est d'autant plus décisive que l'arrivée massive de nouveaux canaux de distribution, sur le Web ou sur nos téléphones, ne banalise pas la télévision, tout au contraire. Face à l'afflux d'images qui se télescopent et nous assaillent de toutes parts, face à une consommation effrénée de clips de toutes sortes, les grandes chaînes de télévision restent, symboliquement et concrètement, les seules références communes. Quand YouTube met en ligne un million et demi de nouvelles vidéos chaque jour, quand des centaines de millions d'images fixes et animées circulent en permanence entre les particuliers, la télévision reste le seul média qui conçoit, organise et présente des "programmes".

On n'empêchera personne de diffuser et de consulter une multitude d'images par l'intermédiaire des téléphones ou des ordinateurs. Mais c'est justement pour cela qu'il faut renforcer les chaînes de référence qui ont la responsabilité de présenter une vision du monde moins chaotique et plus saisissable. A côté du déferlement et de la surenchère d'images hypnotiques, nous avons besoin de chaînes qui ne misent pas systématiquement sur la sidération pour scotcher les téléspectateurs à l'écran. Nous avons besoin que de grandes chaînes de référence suscitent la réflexion et introduisent à la culture.

C'est pourquoi il est absolument nécessaire que l'ensemble des chaînes généralistes, publiques et privées, qui bénéficient d'une large diffusion soit soumis à un cahier des charges rigoureux. Le droit d'émettre, d'entrer dans tous les foyers et dans les chambres des enfants (54 % des élèves français ont la télévision dans leur chambre), ne peut se concevoir sans des devoirs.

Du point de vue éducatif, quelques décisions immédiates s'imposent.

- En même temps que la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, il faut interdire toute publicité, sur toutes les chaînes et à toutes les heures, dix minutes avant et dix minutes après les émissions à destination du jeune public. Exactement le contraire de ce qui se passe aujourd'hui quand on supprime systématiquement les génériques de fin et qu'on utilise les mêmes codes graphiques pour les dessins animés et la publicité qui leur succède.

- On doit imposer à toutes les chaînes qui diffusent des journaux télévisés et des magazines à destination des adultes de présenter des émissions de décryptage de l'information à destination des enfants et adolescents. C'est bien le moins que nous puissions faire, en effet, nous qui ne cessons de nous gargariser avec "la formation à la citoyenneté" et livrons nos enfants à un bombardement permanent d'informations indéchiffrables.

- Les émissions pour la jeunesse devraient toujours faire l'objet d'appels d'offres transparents avec, chaque fois, un cahier des charges précis et l'obligation, pour chaque chaîne, de mettre en place un comité consultatif, composé de parents, d'experts et de jeunes, chargé de transmettre un avis circonstancié sur toutes les propositions.

- Afin de lutter contre l'incompétence notoire des petits Français en matière de langues étrangères, toutes les chaînes, sans exception, devraient être contraintes de diffuser les émissions, feuilletons et films étrangers en version originale sous-titrée, et cela aux heures de grande écoute.

- Pour compléter la signalétique qui existe aujourd'hui et déconseille certaines émissions aux enfants de moins de 10, 12 ou 16 ans, toutes les chaînes devraient être astreintes, sur chaque émission qu'elles signalent, à ouvrir un forum Internet avec des conseils aux parents et la possibilité d'un dialogue régulé avec eux. Systématiquement, les chaînes devraient rappeler aux familles la règle d'or du bon usage de la télévision pour les enfants : "Choisir avant. Regarder avec. Parler après."

Bien d'autres choses seraient nécessaires, en particulier en matière d'information citoyenne, d'ouverture à la création artistique et culturelle, de retours automatiques sur les émissions avec des débats ouverts à tous. Si l'on veut définitivement écarter le risque de télévisions aux ordres (du gouvernement ou de leurs actionnaires), chaque chaîne devrait être contrainte de diffuser une émission hebdomadaire indépendante d'analyse de ses propres programmes. Pas de véritable démocratie, en effet, sans un minimum de contrepoison à toutes les tentations totalisantes et totalitaires. Car l'enjeu est de taille : donner à la France la fierté de sa télévision et stimuler l'émulation des intelligences au lieu de laisser nos médias s'enfermer dans une oscillation mortifère entre crétinisme et élitisme.

Philippe Meirieu (professeur à l'université Lumière-Lyon-II, est directeur de la chaîne de télévision Cap Canal)

Ce texte est soutenu par la FCPE, la PEEP, la Ligue de l'enseignement, Education & Devenir, les centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (Ceméa) et le SGEN-CFDT.


Compléments :

C1) Un état des lieux de la VM sur les chaînes françaises est proposé par Télérama dans son numéro du 12 janvier 2011 (p.29).

C2) Hélas, bien souvent, un film est annoncé en VM puis passe en VF, par exemple The Game, le 23 janvier 2011.

C3) (13 décembre 2011) Un nouveau film, Hollywoo, met en scène un acteur de doublage, dont la profession est bien sûr tournée en dérision.

http://www.bienpublic.com/fr/images/A155FC40-4354-41B8-A238-3E9E4B732AD9/LBP_03/hollywoo-jeanne-est-la-doubleuse-francaise-d-une-actrice-americaine-qui-joue-dans-une-serie-tele-a.jpg

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